Des milliers de manifestants marchent ensemble contre le projet de loi 96

Alors que le projet de loi 96 semble devenir réalité, les militants tentent une dernière fois de se faire entendre

Le 14 mai, des manifestants de toutes générations, en provenance de diverses écoles et communautés de Montréal, se sont réunis en face du Collège Dawson pour dénoncer le projet de loi 96. Ce projet hautement controversé vise à renforcer la protection de la langue française au Québec, qui pourrait porter au détriment des services anglophones et allophones dans la province.

Plusieurs groupes anglophones, tels que le Quebec Community Groups Network, l'Association des comités de parent anglophone du Québec et la Quebec Federation of Home and School Associations, en plus d'un échantillon d'associations étudiantes, ont contribué à la manifestation. Leur but: faire valoir leurs frustrations envers le projet de loi et exprimer leur souhait de le voir rejeté.

Suite à la marche, la manifestation s'est acheminée vers le bureau montréalais de François Legault, près de l'Université McGill. Les participants ont revendiqué que le projet soit rétracté avant que l'Assemblée nationale ne le passe au vote en début juin.

Dès l’annonce du projet en mai de l'an passé, ses effets potentiels sur les cégeps anglophones ont suscité une gamme d'inquiétudes. S'il devient une loi, les étudiants anglophones devront passer trois cours additionnels en français, ainsi que l'épreuve uniforme de la langue française, auxquels sont déjà assujettis les étudiants francophones. Le projet de loi pourrait également restreindre le nombre d'étudiants admis à ces cégeps, les empêchant d'admettre plus de 17.5 pour cent du total de la population étudiante.

Le gouvernement canadien avait auparavant un dicton pour justifier l’assimilation: “Tuer l’indien pour sauver l’homme.” Le Québec aujourd’hui veut tuer l’indien pour sauver la langue française. — Kenneth Deer

Selon Legault, le but du projet de loi 96 serait de protéger et promouvoir la langue française. Cependant, le QCGN indique que le projet ne vise pas seulement les anglophones, mais nuirait aussi aux communautés allophones, francophones et autochtones en exacerbant les écarts entre celles-ci. Répondant à ce tollé, Legault a promis de protéger les droits des anglophones.

Une manifestante présente une pancarte supportant les élèves autochtones. Photo Caroline Marsh

Samedi matin, le 14 mai, des bénévoles ont donc installé pour les manifestants des collations, des boissons, et des drapeaux canadiens, québécois et montréalais, ainsi qu'une variété de marchandise allant à l’encontre du projet de loi 96.

Alexandrah Cardona, présidente du Dawson Student Union, s'est dite émue par la taille de la foule. Aussi espère-t-elle que Legault et son conseil de ministres puissent répondre directement aux plaintes des étudiants.

«Il a vraiment minimisé ces inquiétudes», a dit Cardona, soulignant l'usage de la clause dérogatoire et l'absence de consultation avec la population étudiante. «On manque encore de directives de la part du Ministère de l'Éducation quant au sort des étudiants», a-t-elle ajouté.

Pour sa part, elle réclame également plus de transparence de Simon Jolin-Barrette, ministre de la justice, et de Danielle McCann, ministre de l'éducation, puisque la situation actuelle plonge la population étudiante dans l'incertitude.

Une affiche contre la loi 96. Photo Caroline Marsh

Marlene Jennings, Présidente du QCGN et ancienne députée à la Chambre des communes du Canada, a inauguré l'événement en invitant une multitude d'organisations, dont le Vanier College Student Association et la McGill Faculty of Law, à prononcer leurs discours. 

Ceux-ci ont débuté en reconnaissant que la manifestation se déroulait sur des terres autochtones. Rotshennón:ni Two-Axe, un étudiant de Dawson, récita le Ohèn:ton Karihwatéhkwen, une adresse d'ouverture en langue Mohawk.

D'autres membres issus de communautés autochtones se sont également prononcés. Notamment, Kenneth Deer, un Aîné Mohawk Kahnawà:ke, dénonça la nature impérialiste du projet de loi. «Le gouvernement canadien avait auparavant un dicton pour justifier l'assimilation: “Tuer l'indien pour sauver l'homme.” Le Québec aujourd'hui veut tuer l'indien pour sauver la langue française.»

Des chefs autochtones ont aussi demandé que leurs communautés soient exemptées du projet de loi, craignant qu'il nuirait aux opportunités d'emplois de leurs jeunes. D'autres ont vu le projet comme une nouvelle tentative de génocide culturel. La langue originale du territoire n'étant ni l'anglais ou le français, l'imposition d'une troisième langue aux étudiants autochtones représenterait donc un obstacle à leur succès académique.

Gracie Diabo, vice-présidente académique de l’association étudiante du collège John Abbott et étudiante de Kahnawà:ke, indiqua que le projet de loi pourrait repousser l'obtention de son diplôme, ainsi que son futur succès, tant académique que professionnel. 

«Déjà, c'est difficile de maîtriser à nouveau et d'apprendre notre propre langue. D'avoir à prioriser le français avant celle-ci est extrêmement difficile», dit-elle. «On voit ça presque comme une deuxième colonisation.»

Pancarte contre la loi 96. Photo Caroline Marsh

Isabella Giosi, présidente du VCSA, souligne que le gouvernement fédéral a la responsabilité de soutenir ses étudiants, indépendamment de leur langue maternelle. «On veut que le gouvernement sache que les cégeps anglophones ne sont pas l'ennemi», conclut-t-elle.

Yianni Vounasis, un étudiant du West Island College, renchérit que le projet de loi aurait non seulement un effet négatif sur son éducation, mais aussi envers l'accès aux services publics qu'aurait sa famille. «Ça affecterait ma famille puisque leur langue maternelle n'est pas le français. Alors ils ne se sentiraient pas confortables d'être servis dans cette langue, surtout à l'hôpital. [...] Je comprends que c'est important de protéger la langue [française], mais toutes les langues valent aussi la peine d’être protégées», dit-il.

On voit ça presque comme une deuxième colonisation. — Gracie Diabo

Le projet de loi laisserait aux immigrants et aux réfugiés une période de six mois pour apprendre le français tout en maintenant leur accès aux services publics.  Après cette période, ils seraient donc obligés de communiquer en français. Les docteurs devraient alors s'adresser à leurs patients en français, peu importe leurs langues natives. Cependant, les Anglo-Québécois pourront toujours accéder à des soins en anglais.

Une manifestante soutenant une pancarte durant la marche. Photo Caroline Marsh

Certains politiciens fédéraux ont également exprimé leur appui pour la manifestation, dont Sameer Zuberi et Francis Scarpaleggia, qui représentent respectivement les circonscriptions de Pierrefonds-Dollard et Lac-St-Louis. L'ex-candidat à la mairie Balarama Holness s'est également prononcé sur l'événement, disant que «c'est à cela que devrait ressembler la démocratie.»

Holness espère lui aussi que le gouvernement provincial sera attentif aux besoins de tous les québécois, mais particulièrement des montréalais. «Je pense que les Montréalais, et surtout ceux qui se préoccupent des droits langagiers et des droits à la vie privée, en sont à leur dernier souffle», dit-il. «On a besoin de quelqu'un à l'Assemblée nationale qui peut nous représenter et se battre pour nous.»

Holness a d’ailleurs récemment annoncé qu'il quittait la politique municipale pour former un nouveau parti provincial, Mouvement Québec, qui se présentera au scrutin d’octobre 2022.

Quand Jennings a introduit la chef du Parti libéral du Québec, Dominique Anglade, la foule s'est mise à la huer. Un manifestant la traita même de «sellout», car elle et son parti avaient appuyé le projet de loi en février passé. Le Parti a toutefois retiré son soutien pour le projet, après s'être entretenu avec des membres de la communauté anglophone,soulignant qu'il «mettrait les étudiants anglophones à risque.»

À 11h, les manifestants ont fait le trajet de Dawson jusqu'à la rue Sainte-Catherine Ouest, en chantant leurs slogans en anglais et en français.

Alors qu'ils passaient près de l'entrée de l'Université McGill, ils furent confrontés par quelques contre-manifestants qui jouaient de la musique, chantaient, et tenaient une bannière sur laquelle se lisait «Pour l’amour du français, pour la suite du monde.»

La manifestation se déroula dans le calme, avec une escorte policière en voitures, motos, et à cheval. La foule s’est dispersée vers 13h.

Cet article a été traduit de l’anglais par The Link. Lisez l’original ici.

Des manifestants ont laissés des pancartes sur des statues en tant que message pour Legault. Photo Caroline Marsh