Cœur à la fourchette, assaisonné au lyrisme franco-anglais
Du sentiment de blogueuse Québécoise au menu
À 23 ans, Sarah-Maude Beauchesne a déjà été demandée en mariage. Par un inconnu. Sur Gmail.
L’auteure du blogue littéraire mais pas culinaire les Fourchettes agrippe les envies et la fascination de ses lecteurs avec la poésie tartine-au-beurre-fondu de ses mots.
Depuis près de deux ans et demi, Beauchesne dévoile des morceaux de ses histoires de cœur ramassés dans des lits-draps-froissés-au-petit-matin, à travers le récit de sa vie, version «soft-sexu» —selon ses propres mots. Elle y consigne ses insécurités de filles, ses rencontres sexuelles et émotionnelles et ses rollercoaster sentimentaux.
«[Les gens] ne veulent pas lire ce que j’ai mangé ce matin. Ils veulent lire qu’est-ce que j’ai fait hier soir quand j’étais saoule, ou qu’est-ce que j’ai faite en fin de semaine quand j’ai braillé parce que mon chum m’a laissée».
Dans le sillage des mots, d’autres indices. Sur Instagram, des photos-morceaux de Beauchesne: ses ondulations capillaires rousses; en short/jupe/robe mini-mini; dans de la pabst; avec une candeur d’enfant pas tout à fait adulte encore; quelqu’un qui se fait tatouer à même le salon d’un ami.
Les pièces du puzzle représentant le «moi» de Beauchesne flottent sur internet, comme une énigme opaque. Elle ressemble à cette fille inaccessible dont on traque un peu secrètement la vie super-bohème-intense sur les réseaux sociaux.
«Les gens, des fois, pensent que je suis la personne derrière mes histoires. Puis 90 pour cent oui, mais y’en a 10 pour cent qui est vraiment plus intense».
«Ça me fascine de savoir comment que les filles, ensemble, on interagit, pis comment qu’on vit l’une à côté de l’autre»
—Sarah-Maude Beauchesne
Son Gmail est le réceptacle des preuves d’admiration les plus folles.
«Je pense que les gens [lisent les Fourchettes] et sont comme : «J’peux lui dire n’importe quoi, tsé. Elle a l’air wild, ou whatever ».
Demandes en mariage et poèmes d’amour dédiés à une Beauchesne fantasmée font partie de ces audaces virtuelles qu’elle affectionne pour leurs précieuses étrangetés émotionnelles.
Et son blogue à elle, c’est aussi un tribut à la fille vraiment wild. Une preuve d’admiration, un aveu un peu contrit.
«J’aimerais ça, que ça soit 100 pour cent moi [la Sarah-Maude des Fourchettes], parce que je la trouve vraiment plus awesome que moi».
Beauchesne dessine cette fille fourchette avec des couleurs mi-jalouses, mi-curieuses, volées aux filles réelles—celles qui ont le premier rôle dans son texte «Les filles deuxième partie».
«Deux filles ça se regarde tout le temps, ça se compare tout le temps, pis même si tu veux pas, c’est impossible», explique Beauchesne, pour qui les relations de rivalités fille-fille sont un sujet de prédilection.
«Ça me fascine de savoir comment que les filles, ensemble, on interagit, pis comment qu’on vit l’une à côté de l’autre».
Et au-delà du personnage fantasmé, c’est sa plume qui rallie ses lecteurs derrière elle. Beauchesne ne se chronique pas sa vie. Elle expulse sa vie sur l’internet, avec un naturel presque violent de sincérité.
Son style fourchette est une expérience grisante bipolaire.
Elle écrit une histoire d’un unique souffle, qu’elle assaisonne de tonalités lyriques. Ses phrases, ses mots, sont un cliché de cheval sauvage au galop. Ils s’élancent, gracieusement, affolés. Ils n’ont pas de bride-ponctuation.
Quand Beauchesne écrit une fourchette, tous les mots sont jetés avec urgence, les uns après les autres. Elle n’y revient plus par la suite.
Elle pique son procédé littéraire virginal d’argot franco-anglais montréalais, langue qui fait rougir le français académique trop bien élevé—celui qui demande invariablement la permission aux siècles précédents.
Hantée par l’oeuvre littéraire de Marguerite Duras, Beauchesne fait de la langue française un laboratoire expérimental.
«Si je pouvais me transformer en Marguerite Duras, je le ferais».
Beauchesne admire la sincérité, le rythme et l’imagination de l’auteure. Son sentiment, c’est que les mots de Duras ont bouleversé toute une génération. Son livre préféré à elle, c’est un roman autobiographique de Duras, L’amant.
On ne nait pas fourchette, on le devient
Beauchesne a récemment publié Les Je-Sais-Pas-Pantoute, son premier recueil papier qui compile une sélection d’articles de son blogue. C’est une mise en bouche pour la petite fille qui voulait écrire des histoires.
Elle ne se rappelle plus vraiment quels furent ses premiers balbutiements verbaux, mais elle a retrouvé des poèmes «cheesy-fleur-bleue», composés du haut de ses sept ans.
«C’est écrit tout croche en lettres attachées, on comprend même pas ce que je veux dire, y’a le mot fleur, cœur, des affaires de même».
Ses premiers rêves d’auteure ont pris forme à Poudlard, l’école fictive crée par J.K. Rowling.
«Je suis vraiment fan d’Harry Potter, c’est weird tellement que j’aime ça».
Elle raffolait des triangles amoureux, entremêlés à la vie en pensionnat à l’école des sorciers.
«C’est vraiment con, c’est cheesy, c’est un des best-sellers les plus communs. Mais c’est ça qui a fait genre, ‘Je veux écrire, peu importe c’est pour quoi. Je veux créer des personnages’».
Mais elle n’a pas accouché des Fourchettes avant de quitter Granby pour Montréal, à 18 ans.
«Montréal a fait en sorte que j’écrive toutes ces choses-là».
Beauchesne y fait sa crise d’adolescence tardive. Toutes ses premières expériences sont des premières expériences à Montréal.
Le premier cri des fourchettes, c’est un sanglot. Elles sont nées d’un chagrin d’amour.
«J’ai commencé à beaucoup écrire. Avec un rythme, avec beaucoup de tristesse, beaucoup de colère, en un souffle, puis un peu en vomissant les mots».
Pour lire les histoires-fourchettes de Sarah-Maude Beauchesne, visitez son blogue ou procurez-vous son livre.