Notre-Dame-des-Landes: The Everyday as a Mode of Resistance

European Activists Challenge the Status Quo by Reclaiming Space and Rethinking Life in Community

Photo Lou-Rambert Preiss

Fighting to save a land destined to become France’s 57th airport, a group of environmental activists have joined forces with local farmers to reclaim the space and protect a fragile ecosystem from state-organized destruction.
Parisian film student Lou Rambert-Preiss went to experience life in this protest camp and shared his story and photos with The Link.

Je ne suis ni militant écologiste, ni proche des milieux d’extrême gauche. Avant d’être introduit au projet de Notre-Dame-des-Landes, je voyais encore les “zadistes” comme des néo-hippies qui se construisent des cabanes dans les arbres pour vivre en recul de la société, pour s’abriter des regards qui habituellement les jugent. Leur mode de vie ne m’est pas familier; leur langage non plus.

À L’ABRI D’UN MONDE

Plus qu’une lutte écologiste ou un simple désir d’anonymat, je comprends rapidement que les habitants de la ZAD aspirent à un autre mode de vie, en dehors du schéma traditionnel “travail-paie-loyer.” S’ils construisent eux-mêmes leurs habitations, c’est d’abord pour tenter de vivre en dehors d’un système économique trop “global” qu’ils récusent.

DE Z.A.D. À ZAD: QU’EST-CE QUE C’EST?

Si l’acronyme se traduisait premièrement par Zone d’Aménagement Différé, les militants opposés au projet de construction du nouvel aéroport ou “zadistes” auront vite fait de remplacer celui-ci par Zone A Défendre.
En 2012 Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes, devient premier ministre et décide de tout mettre en œuvre pour mener à bien la réalisation de “l’Ayraultport”, comme l’appelleront dorénavant les militants. Mais, à l’heure actuelle, le projet est toujours en suspens. Et les “zadistes” sont toujours sur la zone pour défendre les terres en les cultivant, en y construisant des cabanes, en redonnant vie aux friches et aux fermes abandonnées. En somme, “NDDL” est une poche de résistance qui refuse toute dépendance au système capitaliste néolibéral. Un village, une zone, un espace, à l’abri du reste du monde.

Poursuivant mes recherches, je me retrouve à regarder un reportage Youtube sur Notre-Dame-des-Landes «Notre Dame des Luttes». Après une trentaine de minutes, un retraité interviewé s’exprime ainsi, “Tous ces jeunes, ils sont en train de prouver qu’on peut vivre autrement que dans le consumérisme absolu… Ils sont en train de faire la preuve qu’il y a d’autres valeurs humaines qui sont à mettre en avant.”

LUTTER, S’ORGANISER

“Si certains voient dans la fin de la ville la fin de la civilisation et le retour à la barbarie, j’y vois l’inverse, le début de l’être autonome comme manifestation du tout petit.” Patrick Bouchain in Construire autrement.

J’observe trois cabanes côte à côte faites de bois. Elles semblent porter en elles les mots du retraité. Elles m’intriguent. Comment sont-elles pensées? Est-ce que la lutte politique s’est logée jusque dans leur intérieur? S’abrite-t-on du monde, derrière ces planches de bois, en pensant autrement l’aménagement de ces lieux de vie?

“Ici, s’organiser en dehors du monde signifie réfléchir à nos façons d’être au monde…”

Je passe mes trois premiers jours à la ZAD à Bellevue, une ferme squattée dans laquelle je participe aux activités. J’aide à faire des fagots de bois, ou encore à faire du pain que l’on vendra à prix libre dans un marché aux alentours.

Ici, il n’y a pas de main d’oeuvre, seulement des individus qui, lorsqu’ils sont disponibles, offrent des coups de mains. Il n’y a pas non plus de spécialistes, seulement des gens qui partagent leurs connaissances, et d’autres qui apprennent sur le tas. On fait, on se débrouille pour faire, pour rendre les choses possibles. On travaille les uns avec les autres, avec ses voisins, les copains, comme on s’appelle ici, pour l’élaboration d’un monde que l’on construit en commun.

Puis je m’installe dans une petite cabane en bois, au milieu d’un étang. L’aménagement est rudimentaire mais suffisant pour vivre : un poêle, un matelas, un plan de travail. Je rencontre des habitants qui me proposent d’aller avec eux à la “réu des habitants”.

Il s’agit ce soir de savoir s’il faut couper du bois ou se contenter de ramasser du bois mort. Le débat est passionné, les avis divergent, mais ce qui a lieu sous mes yeux n’est pas une bataille d’intérêt. C’est plutôt la recherche en groupe de gens concernés d’une perception commune sur la question.

Le fait que les avis divergent n’est pas un signe de faiblesse, le symptôme d’une désorganisation générale. C’est plutôt le contraire, l’assurance d’une bonne santé : c’est la preuve que les gens dialoguent encore, réfléchissent, et s’écoutent. C’est la preuve que les gens sont encore prêts à s’organiser ensemble.

Ici, s’organiser en dehors du monde signifie réfléchir à nos façons “d’être au monde”, c’est-à-dire mener une lutte quotidienne pour repenser nos habitudes de consommateurs, pour s’en défaire, pour ne pas amener la “violence capitaliste” au sein de la ZAD. Ainsi chaque moindre chose se dote de nouveaux possibles, de nouveaux sens. Se déplacer, organiser un concert, cultiver la terre… La lutte se loge dans chaque acte quotidien.