Interaction et échange : le journalisme en 2012

André Lavoie à la Cinémathèque québécoise

André Lavoie, journaliste et critique de cinéma a présenté à la Cinémathèque québécoise du 18 au 22 janvier son projet ambitieux : un cycle de documentaires sur l’évolution du journalisme.

Les documentaires abordent principalement les changements apportés par le développement rapide de médias alternatifs depuis une dizaine d’années et de leur impact sur le journalisme, suivis d’un débat sur la limite floue entre le rôle du documentariste et du journaliste.

Le journalisme traditionnel connait actuellement d’énormes transformations, et subit une rude concurrence. En effet, si une affaire comme celle du Watergate il y a 30 ans avait été révélée par le New York Times, aujourd’hui c’est l’internet qui mène la danse.

Ainsi, dans l’affaire des câbles diplomatiques, le Times n’a servi que de relayeur d’une information détenue en exclusivité par le site Wikileaks.

Les blogs, les réseaux sociaux, les quotidiens gratuits, le « citizen journalism, » sont tant de sources d’information continue et gratuites que s’arrachent un public de plus en plus jeune et varié.

On observe une « explosion de l’information qui tient de plus de l’opinion, de l’humeur, de l’état d’âme, » selon Mario Cloutier, chef de la section arts et cinéma au journal La Presse.

La diversification de l’offre entraîne des pertes de revenues colossales qui ont poussé plusieurs journaux à la faillite, comme le Chicago Sun en 2009, explique Andrew Rossi dans son documentaire Page One : Inside the New York Times.

Afin de survivre, les journaux doivent séduire des lecteurs de plus en plus jeunes.

Cette nouvelle génération de lecteurs, qu’on appelle génération Y, a grandit avec les nouvelles technologies.

Nés entre 1980 et 2000, Myriam Levain et Julia Tissier, auteures de La génération Y par elle-même les décrivent comme peu engagés, individualistes et peu pressés de se considérer « adultes, » mais aussi comme indépendants, réactifs et créatifs.

Leur atout principal : le web, sur lequel ils savent naviguer autant pour s’informer que pour communiquer.

Ces jeunes se tournent aujourd’hui vers les réseaux sociaux et les journaux gratuits financés par une publicité que les grands journaux traditionnels, en perte de vitesse, peinent à attirer.

Les journaux diminuent le financement de ce qui est historiquement leur atout principal : le journalisme d’investigation.

« Le journalisme d’investigation est de plus en plus rare car [les journaux] ont de moins en moins de moyens, et de plus en plus de chroniqueurs, » souligne Christian Nadeau, professeur de philosophie à l’Université de Montréal.

Ce manque de financement a alors un impact direct sur la qualité des journaux traditionnels.

Interaction et échange sont les mots clef de cette nouvelle ère. On peut parler de consommation de l’information, « marketing » et innovation, ces outils commerciaux faisant de plus en plus partie d’un journalisme menacé par la faillite.

Certains journaux comme le New York Times offrent des cartes interactives et tous types de services personnalisés, tandis que Le Monde dédie une section entière de son site aux blogs tenus par ses propres journalistes.

Ces quotidiens sont aussi parmi les plus fréquentés et les plus partagés sur le net. La participation au dialogue est encouragée, le lecteur lui-même peut désormais commenter sur les articles.

Ainsi, comme le soutient un intervenant dans le documentaire de Florian Sauvageau et Jacques Godbout Derrière la toile: Le quatrième pouvoir, « Un article n’est plus la fin mais le début de la conversation. »

Les journaux traditionnels se veulent de plus en plus modernes, mais doivent faire face à un public individualiste qui se désintéresse de l’intérêt général.

« La tendance est à la passivité, on aime que les choses viennent vers nous au lieu d’aller chercher l’information ailleurs, » explique Christian Nadeau.

Cependant, l’objectivité de l’information est mise en péril par cet aspect commercial, poussant certains à prendre parti afin de plaire.

Dans ce cyber-brouhaha où le bourdonnement des rumeurs couvre celui des faits, le rôle du journaliste n’a jamais été aussi important, car il reste plus que jamais celui d’un témoin impartial de la vérité.

« Même si l’objectivité n’existe pas en journalisme, il demeure une certain honnêteté que l’on se doit de respecter, » nous dit Mario Cloutier. C’est une honnêteté, une éthique que les nouvelles formes de journalisme ne possèdent pas, forcément.

Le journaliste possède cette crédibilité et ce savoir-faire qui demeurent l’atout principal des journaux traditionnels qui ont su s’adapter et se réinventer.

Ce n’est pas une mort du journalisme que l’on observe, mais bien de son renouveau, mêlant tradition, technologie et un engagement plus important de la société civile.

« Le travail de journalisme de base va demeurer, parce qu’on en a besoin, rien que pour faire le tri, avoir une base solide, » conclut Cloutier.